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Mon enfant bleu, Pablo
6 novembre 2011

L'autiste dessinateur, un entretien avec Laurent Mottron

L'autiste dessinateur. De la perception à l'art. Documentaire réalisé par Alain Bouvarel, Richard Martin, Pierre H. Tremblay. Produit par le CECOM Montréal/CNASM France, 2007, 23 minutes.

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(résumé de l'éditeur) Au-delà des autistes prodiges dont on parle souvent dans les médias, on retrouve de nombreux autistes dessinateurs dont les oeuvres nous interpellent. Qu'est-ce qui caractérise leur travail ? Qu'est-ce qui les différencie des autres dessinateurs ? Reproduisent-ils tout simplement, mais avec talent, ce qu'ils voient ou sont-ils de véritables artistes ? Nous avons rencontré trois autistes dessinateurs extrêmement doués : Pierre Godefroy de Valognes en France, Miguel Malo de Montréal et le jeune Jules Guermonprez, âgé d'à peine 11 ans, de Grenoble. Ils nous ont parlé de leur travail : thèmes, inspiration, motivation, technique, devenir de leurs oeuvres... Pour nous aider à mieux comprendre les relations entre l'art, la perception et l'autisme, nous avons demandé au professeur et chercheur Laurent Mottron du Centre d'excellence en troubles envahissants du développement de l'Université de Montréal, de commenter leurs oeuvres et ce qu'ils en disent. Ces autistes dessinateurs ont en effet des particularités perceptives qui leur permettent de transposer très précisément ce qu'ils voient ou imaginent, maîtrisant notamment, très jeunes et avec talent, la perspective. Toutefois, comme le font tous les artistes, ils interprètent et transforment la réalité en développant un style pictural qui leur est propre, combinant formes et couleurs, et ils se servent de leur art pour communiquer et prendre leur place dans la société.

Il me paraît important de présenter ce documentaire que j'ai pu emprunter au centre de documentation du CRA Midi-Pyrénées. Le propos de Laurent Mottron, psychiatre, chercheur et professeur à Montréal, m'a véritablement permis de comprendre la particularité de l'expression graphique de Pablo. Ses recherches sont centrées sur le traitement de l'information dans l'autisme, particulièrement sur les surfonctionnements perceptifs. Sa démarche fondamentalement empirique, dans le cadre du Laboratoire de neurosciences cognitives des troubles envahissants du développement, donne à mon sens une grande crédibilité à sa façon de penser l'autisme. Son intervention dans le documentaire est tout à fait passionante, du fait de la clarté de son propos et de sa pensée synthétique.  Laurent Mottron est très pédagogue dans sa démonstration. Il a parfaitement compris et mis en lumière cette différence de perception qui caractérise les autistes. Pour lui, hormis Stephen Wiltshire ("l'homme-caméra") qui reste exceptionnel, les autistes dessinateurs sont avant tout des artistes, la notion de génie, de "bête curieuse" est totalement exclue, leur perception différente leur fait représenter les choses d'une certaine manière. Et il est assez surprenant de voir combien ses propos collent assez bien à l'analyse que l'on peut faire des dessins de Pablo.  

Voici une transcription des propos de Laurent Mottron, qui commente le style graphique des trois dessinateurs présentés. Pierre Godefroy peint des paysages urbains en utilisant des couleurs très vives, Miguel Angelo dessine des appareils électroménagers dans un style de catalogue ancien et Jules Guermonprez (âgé de 11 ans) dessine des scènes de bataille, des paysage de la Rome Antique en utilisant une technique du tracé :

 

Laurent Mottron, médecin et chercheur :

 

« On connaît bien maintenant les dessinateurs autistes prodiges comme Stephen Wiltshire, qui sont capables de reproduire de mémoire, une ville après l'avoir survolée en hélicoptère. En fait il y a beaucoup d'autistes qui dessinent même si leurs performances, tout en étant toujours très impressionnantes, ne sont pas aussi exceptionnelles que Stephen Wiltshire. Et c'est de ça que nous parlons. Les dessins des autistes, qu'ils soient exceptionnels ou qu'ils le soient un petit peu moins, reflètent toujours les particularités perceptives qui sont maintenant bien connues.

 

Beaucoup d'autistes dessinent. Les dessins reflètent les facultés perceptives bien connues et il en existe trois séries :

 

  • La première c'est qu'ils discriminent mieux au niveau perceptif que les personnes non autistes. Un tout petit peu comme les pixels d'un appareil photo, ils ont une précision dans la capacité de discriminer supérieure à nous.

  • La deuxième particularité c'est que leur perception s'oriente spontanément vers des aspects locaux du monde. Cela ne veut pas dire qu'ils ne savent pas traiter les aspects globaux, la forme globale d'une figure. Mais c'est que spontanément, leur perception va être réglée à un niveau de détail supérieur au nôtre.

  • Puis la troisième particularité, qui est plus abstraite, c'est que leur perception est plus autonome. Nous, nous déformons le monde, particulièrement quand on le dessine en fonction de la signification qu'on lui donne. Ainsi, il est bien connu qu'un petit enfant va dessiner la tête plus grosse que le corps, parce que la tête est porteuse de plus de signaux sociaux. C'est en tout cas, comme ça qu'on l'interprète, ils ne vont pas représenter la tête à l'échelle. Pour les autistes, ils sont parfaitement capables de voir que le visage est porteur d'une signification différente du reste du corps. Mais quand ils ont à dessiner, ils dessinent des choses comme elles sont. En tout cas, ils sont capables de le faire. Ils peuvent également transposer, mais ils ont accès à une réalité non transformée du monde par la perception, qui est évidemment essentielle dans le dessin, parce que ça leur donne un accès presque automatique ou sans effort à la troisième dimension, par rapport à nous.

 

A partir de ça, on pourrait penser qu'ils sont vraiment capables de prendre des photos du monde. Pas tout à fait. Miguel par exemple, va dire que les visages sont pour lui un problème. Pourquoi c'est un problème ? Et bien ça peut être un problème parce qu'au niveau vraiment physique, un visage ça bouge tout le temps, et en général ça parle en même temps que ça bouge, ça envoie énormément de signaux. Et à la fois l'aspect social du visage et son aspect dynamique, son aspect aussi multi-modal (un visage est souvent quelque chose qu'on voit et qu'on entend), cela semble mettre les autistes dans une situation de difficulté relative. En tout cas, à coup sûr même si on ne sait pas exactement le niveau de difficulté pour eux, le traitement des visages, c'est beaucoup moins plaisant et facile à reproduire que le monde inanimé. Et c'est ainsi que la plupart des autistes vont s'intéresser à des objets inanimés. Ils vont s'intéresser à des objets, à des bâtiments, à des mécaniques. C'est bien illustré ici par les trois dessinateurs qui ont chacun leur thème. Ces thèmes sont en fait des thèmes inanimés. Il y a des bâtiments pour l'un, il y a les appareils électroménagers ou les outils pour un second et puis il y a des personnages, ou plutôt des uniformes, des troupes, des bâtiments de l'Antiquité grecque et romaine pour un troisième.

 

On remarque d'ailleurs, qu'un artiste autiste, c'est la combinaison de deux choses :

 

  • d'une part un thème électif ;

  • d'autre part, un type de transformation sélectif. L'un des artistes va ne retenir que des aplats de couleurs, qui va inclure dans une sorte de dessin stylisé en 3D, des bâtiments. Le deuxième, lui presque au contraire, ne va retenir que les contours des personnages, ne va prendre aucune couleur. Il s'agit bien entendu d'une transposition. Et le troisième, Miguel, va d'une part choisir dans un sous-ensemble du monde que sont les outils, puis il va tout transformer dans un style de catalogue québecquois ancien.

 

Les artistes autistes sont des artistes qui vont s'intéresser à des objets plutôt qu'à d'autres. Vous avez des artistes qui vont préférer peindre des bouquets de fleurs et d'autres qui préfèrent peindre des usines, même si c'est probablement moins exclusif chez un artiste non-autiste que chez un artiste autiste. Il y a, à proprement parlé, un style pictural qui est une transposition, qui se caractérise par choisir dans ce qu'ils dessinent une certaine dimension (la couleur, le contour), et puis à l'intérieur de cette restriction, la combiner et faire une composition.

 

Un artiste autiste c'est avant tout un artiste. C'est quelqu'un qui choisit une partie du monde, qui la transpose et puis qui s'insère dans le monde grâce à son art, qui peut le vendre, qui peut aussi communiquer via l'art. C'est un lieu commun de dire que les artistes communiquent souvent pas très très bien en-dehors de leur art. Les artistes autistes, ce qu'ils ont de plus communiquant à offrir au monde, c'est leur art et ça marche très bien. Il y a des artistes autistes qui sont presque mutiques, ce qui n'est pas le cas des trois dessinateurs du documentaire. Les deux premiers parlent assez peu, utilisent le langage de façon assez réservée. Le troisième, Jules (âgé de 11 ans), parle énormément, ce qui est typique du syndrome Asperger, il parle de façon livresque avec des mots beaucoup plus sophistiqués que les enfants de son âge. Mais malgré toutes ces différences, on voit que nous avons à faire à des artistes et c'est un mouvement général qui consiste à ne pas tout expliquer de la production d'un autiste, comme des symptômes ou comme des marques d'un déficit, mais plutôt comme des productions à partir d'un cerveau clairement différent. Des productions et des modes d'insertion dans le monde qui sont en tous points identiques à ce que d'autres représentants de l'humanité peuvent produire. »

 

Pablo dessine toujours en sélectionnant un thème, un motif, un objet, une page d'un livre et a quasiment toujours recours au même procédé, le tracé, le contour. Les dessins en couleur sont assez rares dans sa production et son application des couleurs n'est pas aussi performante que son tracé. On peut également constater dans la plupart de ses dessins, que Pablo fait preuve d'une certaine maîtrise de la composition. Comme le dit, dans le documentaire, la mère de Jules Guermonprez, "quel que soit le format de la feuille, il remplit parfaitement la page, fait un dessin global". Je crois que l'on peut faire la même constatation en ce qui concerne les dessins de Pablo, au même titre qu'il est étonnant de voir un enfant de 5 ans et demi, dessiner des éléments de perspective. Pablo a fait une série de dessins dans la même semaine du mois d'octobre, qui illustrent parfaitement les propos tenus dans ce documentaire. Un thème électif : village de campagne et paysage urbain. Un type de transformation sélectif : le tracé. Pablo possède un style pictural qui lui est propre. Il a, à mon sens, une véritable signature artistique. Pablo est un artiste !

Merci Monsieur Mottron, grâce à vous je peux décoder un peu mieux l'oeuvre de mon fils. Mon regard est maintenant très différent.

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 Cette semaine, Pablo a dit : "Quand je serai grand comme un homme, je serai dessinateur".

 



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